Ce soir, la nuit est rouge.
Mon amour revient vers toi, Boomerang fragile et hésitant, arme bâtarde mais qui connaît sa cible.
Âme gercée, boursoufflée, enflée de tous ces soupirs vains, tous ces désirs que je n’ai jusqu’alors jamais pu assouvir.
Passion...Je voudrais découvrir toutes tes béatitudes idiotes à ses côtés, et m’endormir dans la tiédeur délicieuse de ses abîmes laiteux.
Mirage palpitant dans ma tête et doucement vacillant, oscillations frénétiques, tes membres enlaçant compulsivement mon corps décharné, je deviens un polichinelle ridicule aux hanches vermeilles. Serre-le, ce vulgaire paquet complexe de nerfs et de frustrations, pour calmer le feu qui le consume et ronge de ses flamboiements lyriques et redoutables son enveloppe à fleur de peau. Fais-toi violence pour attiser cette foudre exaltante qui m’électrise, et retranscris à ta guise sur ces pages vierges l’histoire d’une ivresse exceptionnelle à conquérir. Car seule ta chair saurait éveiller les élans fougueux et destructeurs de la mienne, gorgeant d’un extraordinaire concentré passionnel la jauge déjà bien remplie de mes émotions nouvelles. Seules tes mains, protectrices émérite et gardiennes de mon bien être, sauraient sécuriser mon âme des douleurs affligeantes qui la menacent, et inspirer des rêves enfiévrés à mon être scindé entre brûlures subtiles et frissons suaves, découvrant ainsi des plaisirs étranges et puissants.
Seule ta voix pourrait raviver l’appel à l’éveil de mes sens, frémissant sous les vibrations profondes de ce son magique et pénétrant.
Me voilà bourreau de tes sens, prêcheuse de la démesure, égarée à mi-chemin entre les eaux tumultueuses de la béatitude et du délire désespéré, là où s’expriment ces sentiments extrêmes qui marquent ma peau de leurs stigmates imbéciles.
Mais tous ces mots incompris, ces murmures témoignant de ma faiblesse face à la véhémence de tels ressentiments ne sont que poussière dans l’épaisseur du silence, chimères désespérées, idéalisations pour accepter ton absence. Je redoute tant que tu ne demeures qu’une image animée…
Mais j’espère, parce que je ressens.
J’espère, car un bagage de rêve me suit dans toutes mes aventures, plus ou moins heureuses et romancées. De ce sac à malice, j’extirpe costumes de lumière et masques de faïence pour déguiser cette réalité qui est la mienne, et pimenter ma vie. Je mets en scène chaque instant pour mieux le savourer, dissimulant la réalité sous une couche d’absurde, de légèreté et de douceurs épicées pour cacher l’ennui et la peur du néant. Je me joue des ombres chinoises dans l’exquise pâleur d’une lumière tamisée, imaginant des silhouettes étranges et rieuses qui s’allongent et se tordent de plaisir, tandis que dans l’abîme double de mon cœur et de mon subconscient, l’angoisse de la solitude et la menace sournoise des ombres prêtes à m’avaler me serrent les entrailles et me déchirent la peau.
Et pourtant j’oublierais un instant… Je m’y efforcerais !
….
Abracadabra ! Je deviens la magicienne des illusions défendues, la bohême de la vérité travestie, sublimée par les couleurs de l’imagination infinie et du secret.
En un claquement de doigts, je parcours les méandres inextricables de l’âme et respire aveuglément les parfums de l’impossible et de l’exquis insaisissable, m’enivrant des effluves nouvelles de mes désirs les plus intenses…
Pourtant aujourd’hui, mon existence connaît de douloureuses entraves. J’ignore tout des senteurs de l’insouciance et de l'éclat lumineux et sonore d'un rire d'enfant qui se perd, léger, dans un ciel sans nuages. J'ai oublié la fraîcheur innocente, ne sachant plus pour unique fragrance que celle de ta chair ancrée dans mes jeunes narines béantes, avides de ses arômes, de ses notes riches et capiteuses.
J’ignore tout de ces mélodies enjouées que je chantais jadis à gorge déployée, au profit de la morne ritournelle qui tourne, tourne, et bouleverse un cœur sous hypnose amoureuse.
J’ignore tout, et plus encore, de ces mille et une contrées inexplorées qui faisaient jadis miroiter à mon esprit assoiffé de contes et de rêveries vaines une multitude de trésors, et livrerais aujourd'hui ma personne toute entière à un Dieu inconnu, pour pouvoir seulement découvrir la plus modeste de tes richesses. Tu es ce délice interdit, ce fruit juteux tombé de l’arbre céleste dans lequel je mordrai à dents pleines, mon pêché mignon, une exquise pourriture que j’effleurerai du bout de mes lèvres vénales et userai infiniment de mon regard, de ces yeux que tu as aveuglés.
Alors…
Aurais-tu seulement envisagé le trouble que tu pouvais semer dans la candeur d’un cœur naissant et libre qui ne connaît de l’amour que sa frivolité et ses enfantillages libertins ?
Marquerais-tu la fin de ces badineries insensées et le terme de ma fraîcheur fantaisiste de jeune fille, enflammant d’une passion absolue, adulte et incendiaire ces jupons vaporeux et légers de jouvencelle ?
Sais-tu, superbe usurpateur, que tu as dupé une pauvre mortelle en lui donnant l’illusion d’être plus vivante que jamais, épanouissant sa sensualité, et faisant fusionner dans son unité charnelle les affres sentimentales et l’émotion cosmique dans un corps à corps endiablé?
Elle aime, la bohême... Elle aime, intensément, et s'enivre de la plus sulfureuse des senteurs, de la plus brûlante des passions.
Emilie.
Interrogation existentielle :
Qui suis-je ?
Brûlante question à laquelle il faut répondre immanquablement à chaque fois que l’on s’expose sur cette vaste toile, maillage complet d’informations et vertigineux réseau de communication en tout genre (plus ou moins futiles, avouons-le…) que l’on appelle Internet. Il me faut répondre, car j’esquisse ici un morceau de ce qui me constitue. Un morceau de ce qui me constitue, certes, mais un morceau artificiel. Une façade, une image.
Et c’est bien là la clé du problème.
Ne perdez pas de vue que je pourrais très bien, si je le désirais, me façonner à la sueur de mes malicieux petits neurones une fausse identité pour apporter à ma vulgaire personne une gloire quelconque, minable et éphémère.
N’oubliez pas que je pourrais retoucher avec outrance mes photographies pour me conférer enfin LA plastique idéale afin de faire pester la plus sensuelle des Venus, et devenir le fantasme international de toute une génération de charognes affamées en livrant les clichés de mon corps à leurs serres vicieuses...
Je pourrais parfaitement vous jeter de la poudre aux yeux et titiller votre intérêt à travers un ramassis grumeleux de pixels sur-retouchés et d’effets, et faire en sorte que mon visage ne devienne qu’une écœurante peinture lisse et fermée, bien qu’irréprochable.
Si je le voulais aussi, je pourrais étaler absolument toute l’intégralité de ma fragile culture, érigée à grands coups de recherches sur le net et vous baver à la figure sans aucun scrupule ces phrases stéréotypées, mille fois prémâchées et pourtant redoutablement efficaces, afin de faire pâlir le plus fervent des puristes.
Ouvrons les yeux… Je pourrais faire croire tout et n’importe quoi si je le voulais.
Le net, c’est quelquefois l’outil idéal pour toute cette mystification, cette mascarade. L’illusion à son apogée. La duperie parfaite. Pas toujours, il ne faut pas non plus être paranoïaque… mais parfois. Et peut-être plus souvent qu’on le croit.
En effet, pourquoi le mensonge, déjà confortablement installé au sein de notre société actuelle, ne pourrait pas exploser totalement et connaître un triomphe considérable dans une communauté virtuelle où les preuves ne peuvent toujours être tangibles et concrètes ?
Et puis, vendre son apparence sur cet immense marché du bétail humain et vanter ses atouts pour en tirer un profit, une jouissance quelconque est devenue monnaie courante. Certains, je pense, agissent ainsi consciemment ou non, pour se propulser sous des feux bien dérisoires, pour s’attirer de bonnes considérations.
Pourquoi ce besoin ?
Parce que de toute façon, selon eux, il faut toujours sortir du lot, et se sentir adulé, apprécié, idolâtré pour son originalité. Il faut dans un premier temps « appartenir à un groupe » et dans un second, être le modèle de ces individus peuplant l’univers auquel on veut adhérer, incarner "le personnage remarquable" (dans tous les sens du terme…), pour exister réellement, quitte à se perdre, et à faire abstraction de sa nature profonde. Ce qui explique le paradoxe assez étonnant de l’adolescent qui, tout en voulant affirmer sa différence et son caractère unique, se plait à se fondre à une masse qui correspond à ses aspirations, à ses goûts…
Alors pourquoi cette quête ultime, cette soif d’admiration et implicitement, ce besoin de briller en « société »?
Pour être aimé par des individus que l'on admire nous-mêmes et se montrer dès lors prêts à tout pour obtenir cet agréable pouvoir? Quitte à nous corrompre et à tromper autrui?...
Tout ceci semblera constituer le fruit d'une pseudo-réflexion clichée et futile, mais à bien y penser, n'est-ce pas une question universelle? N'avons-nous finalement pas tous été confrontés à ce problème, à un moment de notre existence?...
Et n'est-ce pas risqué de "vendre son âme au diable" pour une image éphémère, une gloire passagère et fragile qui s'effondrera tôt ou tard...?
Emilie.
1. oups007 le 17-09-2009 à 16:25:15 (site)
petit passage dans ton joli petit monde pour te faire nos amitiés, tendresse et gros bisouxxxxxxx la fée plume et ses merveilleux lutins
"Et finalement, à tout prendre, que font-ils de leur vie, tous ces pauvres gens?"
-...Ben voyons, quelque chose de trépidant. Comme la plupart de nous tous, d'ailleurs. A défaut d'avoir le choix, ils avançent, réglés comme de parfaites pendules, et attendent que minuit sonne dans leur tête.
-Tu n'as rien trouvé de mieux que cela?!
Évidemment que non. A quoi t'attendais-tu? A obtenir la réponse ultime en foulant cette lourde nappe de grisaille inerte étouffante, ce linceul funeste appelé « bitume »? A une révélation soudaine, à un indice pour élucider les plus existentiels de nos "pourquoi"? Fallait-il espérer une réponse de cette pauvre ville anesthésiée, malade et faiblarde, plongée sous le lourd coma éphémère que la nuit lui confère ? Que fallait-il attendre de surprenant, finalement ?
Absolument rien.
C’est un cycle monotone, tout est minuté, réglé d’avance. Aucune surprise, les dés sont jetés.
La pulsation de ce cœur immense, fait de béton, de pierres et d’acier, est ralenti pour quelques heures. Puis son pouls recouvrira un rythme plus ordinaire, une fois l’obscurité percée par les premiers rayons du jour.
Un Dimanche, du mois d’Août. 23 heures. La voilà encore une fois assoupie, la gigantesque reine grise, qui garde en son sein les minuscules êtres grouillants que nous sommes. J’ai pourtant la singulière sensation qu’elle se fige dans cette routine, et se ternit au fil du temps, comme si elle s’éteignait un peu d’avantage chaque soir. Comme si elle se voyait détruite par ce qui l’a fait naître, trouvant son repos dans un sommeil artificiel et nuisible, bercée par le rugissement sourd des automobiles, noyée sous les fumées épaisses et les émanations complexes des pots d’échappement.
Alors, que perçoivent mes yeux dans cette pénombre éthérée ?
Toujours ces sévères dames de fer noir électriques, immobiles et hautaines. Toujours ces lampadaires crachant leurs lueurs indécises vacillantes et brouillées à travers l’écran pluvial qui les diffusent. Toujours ces faisceaux qui répandent leurs tristes reflets sur le goudron, le bariolant de tâches blanchâtres difformes.
Toujours les rapides ombres terrifiantes de quelques parapluies ouverts, gigantesques monstres cauchemardesques au corps souple et aux griffes crochues qui se dérobent aux quelques lumières pâles, déployant vivement dans un silence criminel leurs ailes biscornues sur le visage des gens évoluant sur le pavé, comme pour asphyxier les pauvres créatures sans laisser la moindre trace. Me voilà témoin du plus implicite, du plus gracieux, du plus soudain, mais surtout du plus illusoire des assassinats, où le meurtre ne devient plus réalité tangible mais perception abstraite de ma douce petite conscience préoccupée et trop imaginative .
Et bien sûr, toujours ce pavé grisâtre, humide, froid et un peu visqueux, qui claque sous mes pas mécaniques, parfaitement rythmés et prévisibles… Quelle tristesse !
Toujours aussi de longs bâtons blancs délavés sur une matière noire grumeleuse, usés par le caoutchouc des pneus et leurs crissements insupportables.
Ce décor, que vous définirez probablement d'enfer citadin, est devenu le mien.
Je ne saurais dire pourquoi cette errance solitaire, cette promenade nocturne est devenue machinale et essentielle. C'est un rite. Une habitude. Peut-être en ai-je inconsciemment besoin pour lutter contre la lassitude, puisque cette flânerie insensée vise seulement à tuer le temps. Et au moins, je ne pense plus. Ou presque plus, pour un bref délai. Cela fait parfois du bien de se sentir vide de toute préoccupation. Pour un moment, je deviens un robot téléguidé par je ne sais quelle impulsion qui me pousse à avancer sans réfléchir. C’est une vulgaire entité de fer libérée de tout état d’esprit qui progresse assurément de rues en rues, de boulevards en boulevards, guidée par le bruit des moteurs, les phares aveuglants des voitures et la magie de la fée électricité, mais ignorant tout du semblant de vie susceptible de l’entourer.
Je fais alors abstraction de mon cerveau et laisse l'intérieur de ma tête se remplir du plus immense des vacuums, jouissant à présent d’une unique perception sensorielle : Celle de la pluie rougissant mes joues, vivifiant ma peau de sa fraîcheur, mais battant mes tempes. De toute façon, tout ressenti est bon à prendre. Je ne dois aucunement, vous l'imaginez bien, omettre que je suis vivante.
Toutefois, comme à l'habitude, l’harmonie est parfaite, et ma déshumanisation de quelques instants aussi. Je fusionne avec mon ami, Monsieur Macadam. Il est mon compagnon d’infortune, me gratifiant de sa présence durant mes insomnies et mes délires désabusés.
Déjà, je m’arrête. Les éclaboussures d’une auto lancée frénétiquement vers une flaque d’eau m’extirpent de mon absence, de mon état de femme-humanoïde. Un conducteur bien peu scrupuleux, sûrement. Mon sang ne fait qu'un tour. Je me retourne alors et hurle une masse d'horreurs et d'injures, plus caustiques les unes que les autres. Quel sombre idiot! Je ne voulais pas recouvrir toutes mes pensées, pas tout de suite! C'est trop tôt... Et tout cela à cause de l'inattention d'un imbécile quelconque!
Et alors que mes lèvres, devenues pétales sanguines, s'articulaient avec âpreté et virulence, un soulagement bien peu reluisant se faisait sentir de plus en plus. Ce plaisir coupable était intense et me poussait à continuer. C'est comme si j'expectorais d'un seul coup les milliers de lames tranchantes et meurtrières qui encombraient ma gorge depuis suffisamment longtemps pour que leur présence me soit nuisible.
...
Interruption soudaine de mon emportement. Puis réflexion. Pour une fois, elle pointe le bout de son nez au moment opportun.
"Mais... Pourquoi toute cette haine pour quelque chose d'aussi insignifiant? Et après tout… qui suis-je pour le juger ? Il ne savait certainement pas...il ne connaissait pas mon état d'âme...Et il était peut-être pressé...Je ne suis pas seule sur Terre, et ma sensibilité à fleur de peau exacerbée d'aujourd'hui n'excuse pas une réaction telle. Quel comportement vraiment, quelle honte de s'emballer pour cela. Me voilà plus ridicule que jamais!
En tout cas, j’ai froid… Partout.
Il n’y a bien que mon cerveau qui ne soit pas encore paralysé par le frisson. Celui là, bien sur, pas de soucis, il fonctionne ! C’est déjà ça. Le trottoir noirâtre et humide, en face, m’interpelle. Je m’assois. Me voilà toute souillée. Tant pis !
Cette place, cette modeste partie de la rue, est l’habituel siège de mes ressentiments amers, dont je ferais part ici.
Pour tout vous confesser, c’est une impression désagréable, devenue récurrente dans ces moments flous, qui m’assaille. Celle que le temps, monotone et linéaire, poursuit son cours et vous laisse derrière. Et ce soir s’ajoute la sensation démoralisante que les quelques rares rebondissements de l’existence pouvant jamais se produire se sont dilués dans cette eau maudite, pleurée par les yeux purulents du ciel. Ces larmes, ce sont seulement des gouttes acides qui détruisent vos espoirs quand la langueur vous gagne. Vous savez, l’ennui, c’est ce qu’il existe de pire, et la monotonie, c’est à hurler. Il faut pouvoir bouillir de tout, trépigner d’impatience et se brûler l’âme au contact de ses rêves les plus ardents, les plus irréalisables, les plus fous. N’avoir "peur de rien", en somme. C’est pourquoi je ne peux parfois m’empêcher de considérer tout avec amertume en voyant cette tiédeur écœurante s’installer dans nos vies. C'est à en vomir.
Venons en maintenant à une constatation ô combien lucide et utile issue tout droit de ma petite tête (certainement pas uniquement de la mienne, d’ailleurs !)
« Le quotidien n’est jamais qu’une immense horloge. »
Je m’explique. De manière plus symbolique, avez-vous déjà observé les aiguilles ? Elles se poursuivent mais jamais ne se retrouvent vraiment, pourtant. Et lorsqu’elles se rejoignent, c’est pour une maigre poignée de secondes, pour quelques pathétiques fragments de temps… C’est triste, n’est-ce pas ? Une histoire d’amour impossible. Un conte des temps modernes, car désillusionné à souhait et criant de vérité. Tout le monde peut s’identifier à cela. On est entouré, mais pourtant isolé.
Même dans la foule, on se côtoie, on se frôle, mais on ne se retrouve jamais. On se plaint toujours à un moment ou un autre d’être seul au monde, seul avec soi même et ses idéaux. Seul avec ses désirs inassouvis. Tout n’est pas tout rose…
(Je ne suis pas folle, non, non!)
Et le fameux tic tac, à l’image des heures qui passent, des minutes qui s’écoulent, semble rythmer notre marche routinière et habituelle vers un avenir qu’on espère meilleur. Mais au fur et à mesure que le chemin se trace, on ne peut s’empêcher de marquer une pause. On s’arrête, on se retourne… Et puis on se rappelle. On dirige notre regard vers le passé, on implore une jeunesse qu’on voulait pourtant flamber il y’a quelques années, pour connaître le monde adulte. On se souvient, et on pense que « c’était mieux avant ». On voulait sortir d’une routine insupportable pour nos esprits juvéniles, mais on s’y est enlisés d’avantage avec nos âmes soi-disant « plus mûres ». On voudrait retrouver la fougue qui nous animait, le souffle d’envie et la soif de vivre absolue qui nous promettait un futur plus extraordinaire et nous faisait miroiter quelque chose de plus agréable que ce que l’on vivait. Etudes, examens… Mais des espoirs plein la tête. Et aujourd’hui, à tout prendre, que nous reste-t-il ? Une situation stable, de l’argent, mais une vie réglée comme une montre où l’ennui est légion.
Que dire encore de ce tic tac, presque identique au son obsédant et sec de nos talons qui martèlent le sol, et marquent une régularité troublante, presque malsaine, quoi que l’on fasse ?
Je reconnais, ma comparaison est ridicule et mille fois utilisée. Tant pis, j’avais envie de prendre cet exemple. On ne peut pas être toujours très original, après tout ! J’en ai assez dit. Stop. Fin de mon récit… pour le moment.
Le temps passa.
Un dimanche d’Août, 23 heures. Combien de mois, de jours ou bien d’années encore, se sont écoulées ? J’affirme avec certitude que cela fait un an.
365 jours déjà! C’est incroyable comme nombre. Et pourtant, tout est passé à une vitesse folle.
Arrêtons les élucubrations futiles. Un Bilan ?
C’est sans grand étonnement que je vous apprendrai ceci : je suis toujours la même. Les cheveux un peu plus longs, je vous l’accorde…
Il pleut, et je marche toujours dans ces mêmes rues, à la recherche de quelque chose que je ne connais toujours pas …
Toujours la même question, à laquelle je n’ai pu trouver de réponse:
« Comment ne pas tomber dans la monotonie? »
Exactement le même schéma reproduit un an plus tard : Une personne un peu égarée dans une nuit d’été suffocante et briseuse d’illusions. Exactement le même motif, à quelques détails près seulement…
Tout ceci n'est-il pas la preuve que le temps est horriblement cyclique ?
Comme d’ordinaire, rien ne change. La Terre tourne, la pluie tombe, les gens marchent, visages fermés et mouvements raides…Des automates de chair livides et fatigués aux engrenages mal huilés. Je ne veux pas faire partie de ceux-là!
...Alors, est-ce que quelqu'un va enfin se décider à leur changer les pièces?! Car vous savez, ils doivent souffrir atrocement, ces pauvres hommes...! Oui, ils doivent avoir mal quand ils respirent, se sentant coupables de leur métamorphose en pantins mécaniques. Ils doivent désirer secrètement que leur sang, devenu mercure glacé, se fige définitivement et les dégage de cette pendule, de cette horloge trop parfaite... Et c'est l'ennui, le cruel ennui, qui sera responsable de notre perte.
Emilie.
"A ton avis, que peut-il y avoir de plus atroce qu'un monstre de prétention, d'hypocrisie et de jalousie?"
-Deux de ces horreurs là?
"Bien pire, un groupe entier! Et crois moi, ça existe. J'ai eu cette année l'occasion d'en découvrir pour la première fois, et ce ne fut pas la plus exceptionnelle de mes expériences. J'ai du les cotoyer, totalement contre mon gré. Alors j'ai pris le temps d'analyser leur comportement, tenté en vain de les comprendre, de leur trouver des excuses valables, même. Mais je ne parvenais pas à trouver une logique à leurs idioties. Rien à faire, impossible pour moi de les approcher. J'éprouvais une nouvelle répulsion que j'ignorais jusqu'alors, et que je trouvais horrible . Je n'aimais pas ressentir le mépris. Je le trouvais bas, terriblement bas ce sentiment, et malgré tout mes efforts pour le réprimer, il prenait le dessus. J'étais allergique, je crois. Allergique à l'attitude de ces individus insupportables . "
Alors, l’humanité a-t-elle encore de beaux jours devant elle ?
...Autant avouer que si je devais en juger seulement par ces énergumènes qu’il m’a été donné de connaitre, j’affirmerai plutôt sans l’ombre d’un doute que nous marchons tout droit vers un abîme béant, vers cette gueule noire grande ouverte prête à nous broyer de ses gigantesques crocs aiguisés. Bref, nous courrions tous vers notre perte, à une vitesse effrénée.
Comment ne pas éprouver cette lassitude désabusée, cette pitié doublée d’un dégoût incommensurable en voyant ces déplorables vipères cracher tout bas leur venin sur nos pieds puisque bien trop lâches pour viser nos têtes, et déblatérer tout haut les considérations idiotes, les critiques infondées et les bassesses qui ont envahi leurs grises cervelles tchernobylées, ces pauvres ramassis de neurones obsolètes et détraqués, pollués par le miasme ambiant et quasi inévitable du phénomène de mode international, véritable fléau en devenir, que devient l’hypocrisie à l’extrême.
Une nouvelle devise ? Soyez « in », soyez un moins que rien.
Je ris doucement, oui, mais mes dents grincent, et l’horreur me gagne.
Car je me demande à quel avenir sont voués ces crapauds livides et écœurants, qui ouvrent leur gueule pour baver ce nectar perfide, et engluent de leurs paroles faussement mielleuses les pauvres colombes naïves qui les approuvent et ignorent tout de leur nature originelle.
Comment ne pas suffoquer sous ce pédantisme exacerbé pesant comme le plomb ? Pourquoi s’encombrer de cette prétention puante? A quoi bon se nourrir d’un mépris aussi amer et dégueulasse ?
Quelles immondes bestioles triviales et primaires peuvent bien se dissimuler derrière le masque factice d’un talent prétendu, d’une technique irréprochable mais lisse, de la beauté à tout prix et d’une sympathie artificielle ? Des monstres d’égocentrisme au moi démesuré ?
Des fantoches gonflés d’air pour qui les mots « substance » et « profondeur » restent mystères insondables ?
Voyez la vérité messieurs dames, vous les admirerez tout de suite nettement moins…
Car derrière leur si belle image et ce petit prestige ridicule qui leur insuffle autant de fierté, derrière ces jeunes visages vieillis par une hypocrisie absolue et infâme, suintent un flot nauséabond d’émotions fausses et de coups fourrés.
Même leurs sourires pleins ne sont que rictus crispés et difformes à mes yeux.
Même leurs voix, aussi angéliques soient-elles, résonnent comme un râle infernal dissonant qui déchire mes tympans.
Même leurs artifices et leurs manières faussement édulcorées me donnent une nausée irrépressible.
Ces gens là, ce sont les pierres fissurées d’une façade qui s’écroulent sans leur ciment, fait de technique et de savoir-faire. Ce sont des mannequins artificiels, qui n’existent pas sans leur réputation et leur gloire pitoyable à échelle réduite.
Ces individus là ne sont jamais que les germes pourris d’une jeunesse qui n’a d’avenir que dans son extinction. Ce sont ces pseudos stars d’un soir, les piliers de cette masse indistincte et informe de larves grégaires grossissant sélectivement ses rangs miteux pour former une « élite » d’imbéciles, heureux dans leur petitesse, ayant pour but ultime de jalouser les plus capables et mépriser « les autres ».
Ces mêmes « autres » indisposés par leur snobisme, qui, par dégoût des regards hautains, pourraient bien d’un coup de ciseau fendre les yeux de ces chers parasites tenaces.
Voilà qui se cache derrière tout cela.
Un corps soigné, une apparence, une technique vocale, mais surtout un vide.
Tout est creux à l’intérieur.
Si fade, monotone, et si creux…
Si noir, si vide et si laid. Comme une vieille coquille sèche, une carapace craquelée de part en part, uniquement bonne à être jetée.
Dois-je encore vous dire que je hais ce clan sectaire de pantins aliénés qui se revendiquent « artistes » sans s’ouvrir sur le monde et découvrir, ces « soi-disant » partisans du milieu du partage qui n’ont rien à transmettre si ce n’est la médiocrité transpirée par tous les pores de leur peau, ces sombres stupides à la tête plus grosse qu’eux même qui ne contient pourtant pas une once de matière grise ?
Devrais-je encore longtemps évoquer ces grossiers personnages, qui conjuguent allègrement les verbes « mépriser », « écœurer » et « snober » à tous les temps et à toutes les personnes, qui n’ont cesse de rire bêtement de leurs méchantes inepties ?
Dois-je encore parler d’eux ?
Non, je ne le ferai pas plus, j’en ai assez.
Noircir des pages et des pages pour ceux qui ne le méritent pas, c’est inutile.
Ca gaspille mon encre, du papier, et puis ça souille mes SUPERBES petites mains.
N’est-ce pas ?
Avouons- le donc, mes dires ne révolutionneront pas le monde. Ce n’est pas grave. Au moins, j’en ai conscience.
Mais le plus triste dans tout ceci, c’est que « le temps ne fait rien à l’affaire ».
Du berceau au tombeau, ils demeureront certes instruits et brillants, mais diablement pitoyables.
Et ça, tous les enseignements du monde ne pourront lutter contre.
Les bonnes fées ont oublié de leur offrir la bénédiction originelle. Elles avaient certainement bu un coup de trop, ce soir là, et n'ont pas effectué correctement leur tâche. Désespérées par la déchéance de leur progeniture bien aimée qu'elles appellent "univers", les voilà qui se réfugient dans les paradis artificiels. On les avait pourtant prévenues que les stupéfiants et les alcools forts ne résolvaient pas les ennuis! Si même ces gentilles petites créatures ne comprennent pas et sombrent dans l'impossible sans scrupule aucun... Qu'allons nous faire?
Ces petites toxicomanes féeriques qui carburent à l'héroïne se sont penchées sur leurs berceaux...Et c’est dommage ! Car voilà quelques années plus tard en quoi résulte le triste mélange de leur désoeuvrement psychédélique et de leurs maladresses: Des jeunes écervelés, hypocrites et imbus de leur personne, irrémédiablement imbéciles.
Oui malheureusement, On n'y pourra rien changer...
Car comme disait l’autre…(Âmes sensibles, excusez ma vulgarité, mais la formule me brûle les lèvres...)
« Quand on est con… ON EST CON. »
(Pour ces quelques "compagnons d'étude" là, avec tout mon amour!)
Emilie.
Ce soir, Papa et Maman ont ENFIN vu que la télé ne marchait pas bien…Elle était toute déréglée. Ils ont fini par s’en rendre compte… Au dernier moment, lorsqu’il était déjà trop tard.
Ce n’était pourtant pas faute de leur en avoir parlé avant. Ces temps-ci, je me rendais tout à fait compte que quelque chose n’allait pas, que les couleurs étaient fades, étranges. Ca me gênait énormément de voir tous mes dessins animés ternis, pâlis par l’espèce de brume translucide légèrement blanchâtre, par cette sorte de voile blafard embrumant l'amas savant de petits points colorés qui esquissaient à mes yeux innocents les douces promesses d'un monde nouveau. Je leur ai très souvent répété, à mes parents… Mais quand on est un enfant, nos appels et nos constatations ont moins d’impact. Dans la société actuelle, les grandes personnes sont pressées et n’écoutent plus. Pourtant, quand j’aborde l’épineux sujet et pose la question qui fâche, j’ai droit à la réponse évidente et mille fois bavée de leur bouche. L’automatisme se déclenche. C’est alors comme si mes adorables géniteurs n’étaient que des robots mal huilés qui rabâchaient sempiternellement une phrase issue d’un mauvais enregistrement. Un vrai propos réchauffé, parfois même reformulé à toutes les sauces. « Tu comprendras qu’il y a des choses plus importantes, quand tu seras un adulte. On n’a pas le temps de s’occuper de ça maintenant, et puis ce n’est rien. » Une excuse facile à laquelle on veut donner plein de sens en restant très lacunaire, parce qu’en vérité, tout ceci n’est que de la fumisterie. Ou de la poudre aux yeux, appelez ça comme vous voulez. Mais du fin fond de mon « petit » cerveau d’enfant, je pense qu’il y a un temps pour tout, et que si on veut, on peut. Bien sur, Papa a beaucoup de travail. Mais une fois rentré du bureau, après avoir été l’ours en peluche tendre et avide de caresses que j’aime tant, il se mue en une créature glaciale, mutante et égoïste. Cette facette là, croyez-moi, elle est exécrable. Et le rituel est le même, tous les soirs… Il enfile ses pantoufles, et lit des magazines imbéciles ou le journal des heures durant, portant de temps à autres à ses lèvres gercées et demandeuses d’un peu de chaleur la petite tasse en porcelaine par un geste maladroit, de son épaisse main de velours légèrement recroquevillée. Puis, il exige le silence. Et moi, je déteste ce moment là. Pour tout vous dire, ces horribles pantoufles, ce café trop amer et ces torchons de papier, je les désintègrerais, les brûlerais dans les ardeurs violentes de mon dégoût, les ferais voler en un million de confettis poussiéreux, si je le pouvais. Parce que mon père, pour de pareils artifices, se coupe de sa famille. C’est comme s’il oubliait que nous existions. Pour parler scientifiquement, « il rejette toute stimulation extérieure à l’univers qu’il s’est crée»… C’est savant comme expression, n’est-ce pas ? En tout cas, ce n’est pas dans les lectures de papa que j’ai eu l’occasion de puiser ce terme…
Ma mère, quant à elle, serait prête à tout pour obtenir la considération de son supérieur. Par conséquent, elle est littéralement obnubilée par son travail, et même si je sais l’affection qu’elle me porte, je ne peux m’empêcher de penser qu’elle me néglige pour quelque chose de moins fiable bien qu’important, pour quelque chose qu’elle peut perdre à tout moment… Quant elle ne travaille pas à son entreprise, les contraintes domestiques la submergent. Submerger ?… je crains que le mot ne soit trop fort. Bien que ses moments avec moi soient rares, même très rares, j’ai souvent l’impression qu’avec moi, elle s’ennuie. Comme si je ne pouvais rien comprendre, comme si j’étais l’ignorance personnifiée. Quand je tente d’élucider le mystère, de savoir pourquoi je ne reçois pas l’attention dont j’ai besoin, et quelles raisons exactes les motive à agir ainsi et à ne pas simplement prendre parfois le temps de vivre, les mots que je redoutais refont leur intrusion, comme un cheveu sur la soupe. L’engrenage s’enclenche de nouveau. C’est un véritable manège infernal, qui tourne, tourne, tourne…
« Ma Chérie, tu ne pourrais pas comprendre, tu verras quand tu seras adulte »
Je crois que ce concept autour du mot « adulte » est à la mode. Mais après tout, qu’est-ce qu’un mot ? Juste un assemblage de lettres. A-D-U-L-T-E… C’est horrible, vraiment, c’est laid et puis ça sonne mal. Et la fausse promesse qui gravite autour est probablement bien plus absurde. Cette promesse, c'est la liberté. (et attention, pas n'importe laquelle, la "Liberté" avec un grand et prestigieux "L", messieurs dames...)Tout ça, c’est magnifique, mais qui a déjà pu réellement l'acquérir? Qui a déjà pu prétendre la posséder pleinement au creux de ses mains, ou même la toucher du doigt un instant? Personne…Parce que l’humain, d'une part, n'est jamais totalement libre. Avant de me jeter la pierre, écoutez ce qui suit: On revendique une liberté totale tout en avançant à tâtons, les règles jalonnent notre chemin, et ces limites que l'on blâme nous rassurent tous plus ou moins. On a en effet besoin de ces entraves pour évoluer, on a parfois la nécessité, même inavouée, d'être encadré .On aspire à ce que l'on ne pourra jamais avoir. Prétendre le contraire serait mentir. Etre libre, ce serait faire absolument tout ce que l'on veut, et par conséquent, se compromettre parfois inutilement. Les autres aussi. On ne vit pas seuls, il ne faut pas l'omettre. C'est pour cela que les contraintes existent. Pour nous éviter de nous égarer. Et s'il y a contrainte, il ne peut pas y avoir de liberté absolue. … UTOPIE. C’est une UTOPIE, vous comprenez ! Puis, il existe tellement de points nettement moins alléchants… On a longtemps fait la louange de la philosophie optimiste, mais moi j’ai envie de changer un peu… J’ai décidé de célébrer le pessimiste ! Voilà ! Après tout, c’est plus réaliste. Vous désirez des exemples ? Si je vous dis « problèmes financiers », « malaises inavoués », « tabous imbéciles », « interdits parfois excessifs » (et donc, frustration), « incompréhensions »«négligences » « corruption », « manque cruel d’envie de vivre »… Cela vous parle, n’est ce pas ?... Eh oh ! EST-CE QUE CELA VOUS PARLE ?!
Vous ne m’entendez pas, c’est cela ?... Haha. Que je suis sotte!
… Et dire qu’inconsciemment on nous fait miroiter des illusions baveuses, et dire qu’on nous assure que dès que l’on sera plus grand, tout s’éclairera soudainement, qu’on sera capable de se rendre compte, comme illuminés par une soudaine grâce divine venue de je-ne-sais-où…On ne nous précise pas que rien n'est jamais acquis, et souvent, on s'aperçoit de cela en tombant de haut...Alors ouvrir les yeux, oui, mais à quel prix ? Ne serait-il pas plus judicieux de garder les yeux bandés et de rester dans l’inexact ? Je sais, je ne suis pas objective, et vous me certifierez, j'en suis certaine, qu’un regard d’enfant ne perçoit pas clairement toutes ces choses là…mais rien ne m’empêche de constater les dégâts, voyez-vous… Je contemple seulement avec amertume le reflet grisâtre que "le monde des grands" me renvoie, bien loin de la flamboyance originelle que j'en espérais… J'ai été beaucoup trop naïve.
Il faut dire qu'à chacune de mes questions, Maman répète toujours sa même affirmation bateau: « Ce serait trop long à t'expliquer. Je n'ai pas le temps! »
…
Quelle réponse exceptionnelle ! Quel manque d’attention ! Malheureusement, il faut le dire : bien plus d’individus qu’on peut le croire ont recours à cette méthode humiliante de la « facilité explicative ». Mais personne ne s’avoue réellement que derrière ces dires « expéditifs », faciles et faussement censés, on camoufle l’ignorance de la vérité. Et une difficulté à s’exprimer simplement. On dirait que mes parents ont oublié le sens du mot "réfléchir", comme si leur vie active les avait lobotomisés radicalement. On ne sort plus la panoplie d’artifices fabuleux de la pensée, par peur de se perdre dans des raisonnements noueux et insensés…Mais sans se hasarder vers la complexité, sans chercher à résoudre les problèmes épineux... On n'apprend rien. Et honteux, on n’ose pas dévoiler notre ingratitude. Alors on la dissimule sous l’élégant masque du secret. Solution facile ! Inutile cependant de vous préciser qu’il ne faut absolument pas que la porcelaine ne se brise…
Et que dire de l'inconditionnel: "Je n'ai pas le temps "!
Réplique légendaire, fulgurante, classique indémodable des géniteurs en manque de réponses, sauveuse intemporelle des parents incultes en détresse et surtout… en manque de temps et de raisons valable ! Dans notre toute sainte Société sans faille, on essaie à tout prix de nous faire avaler le contraire, de nous faire accepter le fait qu’on est entendus comme il se doit. De nous persuader que nous sommes trop exigeants et égoïstes. Quelquefois, ceci se révèle faux. On fait croire que l’enfant est roi, mais ce n’est pas toujours le cas. Matériellement, je peux le concevoir sans peine, on croule tous plus ou moins sous les biens. Mais en ce qui concerne la l’expression et la prise en compte des remarques, l’ombre au tableau est bien présente. Je dirais même qu’elle croit de jour en jour, nourrie de nos silences, de nos maladresses et de nos malaises. Mais on se fiche de tout cela, et on revêt le joli masque bien solide de la compensation financière pour assurer le bien être du petit protégé, grâce à la cage toute dorée du moindre désir assouvi, au profit d’une écoute et d’une curiosité que certains ne parviennent pas toujours à satisfaire, utilisant le trop jeune âge d’un être pour zapper la question qui fait mal, prétexte terriblement dévalorisant, en soi. Pour peu que l’on utilise les bons mots, tout le monde PEUT comprendre. Seulement, PERSONNE ne prend le temps de vivre. Surtout pas papa et maman, d'ailleurs. Même quand ils ne font rien, ils me disent toujours qu'ils n'ont "pas le temps". Il est quand même étonnant, ce "Monsieur le Temps qui passe"! Il est toujours là, il constitue nos journées, et pourtant personne ne l'a jamais! Que c'est étrange tout ça!
...
Inutile de dire que s’il y’a des rois dans ce monde, ce ne sont certainement pas les enfants. En revanche, les menteurs ont tous une belle et grande couronne...
Vous voyez, je m’appelle Théa. Je n’ai que 10 ans. Beaucoup prétendent que c’est « la préadolescence» « le début des ennuis »… Pourtant, hors du sacro-saint cocon familial, on me répète souvent que je suis très mature pour mon âge…Je l’ignore, mais dans ce cas il faudrait sans doute le faire remarquer à la « toute-puissante » hiérarchie d’ADULTES qui m’entoure… En tout cas, j’ai mal. Mal a mon cerveau ! Je voudrais bien qu’on me le répare, pour me le rendre intact. A mon âge, n’est-ce pas malheureux ?
Toujours est-il que finalement, mes parents ont fini par s’apercevoir que ma chère télévision était en panne. « Mieux vaut tard que jamais », avez-vous dit ? A cela, je réponds : soyez d’abord capable de raisonner vous-même… Car vous aurez bientôt la preuve que les bons vieux dictons ne sont pas toujours de bon conseil ! Il faut dire qu’elle est vraiment dans un état déplorable…Ils auraient du écouter ce que je disais, on aurait pu la sauver, peut être… On dit aussi que « les absents ont toujours tort ». Encore une fois, permettez-moi de remettre en cause cette « vérité implacable » : ils sont à la maison toute la semaine, et pourtant, ils n’ont jamais pris la peine de régler le problème que je leur exposais depuis des jours. Ils déclaraient toujours « Plus tard, plus tard, ça ne presse pas » d’une voix molle et lasse, à en faire crever un mort et pâlir un cadavre. Ceci a d’ailleurs toujours fait blêmir mon grand frère, une personne humainement exceptionnelle ! Ce jeune médecin consciencieux ne perd pas une occasion de rabaisser brutalement certains de ses clients, démolissant leur forteresse morale érigée à grand coup de volonté, en prétendant que s’ils en sont là aujourd’hui, c’est qu’ ils l’ont mérité et qu’ils ne peuvent de toute façon s’en prendre qu’à eux-mêmes. A ses yeux, personne n’a droit à l’erreur, et celui qui ne sait pas prendre un problème en charge pile au moment idéal n’est qu’un incapable dépourvu d’intelligence et indigne d’exister. Pour lui, tout est prévisible, et il ne faut jamais rien remettre au lendemain. Ce garçon est d’une indulgence et d’une ouverture d’esprit que j’admire. Il est, de plus, doté d’une délicatesse innée, d’ailleurs j’envie son tact, sa compassion et sa diplomatie…
Maintenant, si une chose est sûre pour « le fameux téléviseur de la discorde », c’est qu’il est trop tard pour les remords. C’est peine perdue à présent. Mes « illustres procréateurs » ont eu tort. Mais ils sont tellement fiers et orgueilleux qu’ils n’ont pas voulu admettre qu’avoir la science infuse n’est pas quelque chose d’humain. Rester sur un échec, pour eux, c’est la moitié d’une vie qui s’effondre. Quitte à faire n’importe quoi, il faut tenter le tout pour le tout... Et ceci est valable pour le moindre désagrément qui ponctue une existence, du petit déboire quotidien à la catastrophe intersidérale… C’est pourquoi papa et maman ont souhaité faire les bricoleurs du Dimanche, aujourd’hui. Papa avait vu sur son fabuleux « psychologie plus magazine », que la nouvelle tendance pour non seulement réparer en urgence les téléviseurs défaillants et faire des économies était de tout réparer soi-même, plutôt que de faire appel à un spécialiste. Connaissant la haute richesse intellectuelle des lectures de mon géniteur, et livrant un indice de confiance sans borne à ce fabuleux fascicule, véritable bible du « rafistoleur professionnel » inutile de vous dire que je jubilais dans mon malheur, tout en prenant un plaisir sadique à me railler d’eux silencieusement ( voyez, les chiens ne font pas des chats, j’ai hérité d’une partie de leur mauvais caractère…), et en me répétant que pour le coup, on touchait totalement le fond…
Comme je l’avais prévu, tous les efforts échouèrent. Les tentatives étaient vaines. Et l’idée de laisser un individu plus compétent prendre le problème en main leur traversa l’esprit, un jour, comme une fulguration soudaine, une grâce divine, presque. Une illumination ! Mais cet éclair de génie ne dura pas. C’était soit disant « trop cher »…Je savais pertinemment que mes parents avaient un côté grippe-sou qui réapparaissait de temps à autres et quand ça les arrangeait. Moi, ça me dérangeait.
« Et voilà où on en arrive ! On triture les boutons, un peu n’importe comment, pour que tout rentre dans l’ordre… pendant quelques jours… On essaie plusieurs méthodes…
Mais finalement, on n’y parvient toujours pas, on s’est un peu surestimé. Et tout se complique d’avantage ! Tout le monde n’est pas électricien de profession ! Si si, vous savez, ces sympathiques chirurgiens savants du progrès technique, pour qui les tubes cathodiques et autres câbles électriques n’ont aucun secret, ces as de la soudure, de la prise péritel… et des connexions en tout genres, aussi… Des connexions en tous genres… DES CONNEXIONS EN TOUT GENRES ! Et même des plus originales… c’est dire…
Pourtant, cette fois, j’imagine que même leurs judicieux services n’auraient pas été suffisants…J’en suis même quasiment persuadée ! Vous avez fait un tel gâchis que vous ne règlerez pas le problème maintenant, car on ne peut plus rien faire, et vous vous mordrez les doigts devant l’irréfutable évidence qu’il faut parfois porter un minimum d’attention à ce qui vous entoure ! »
Silence intégral. J’y étais allée un peu fort. Je n’aurais jamais du vider mon sac. Tout ce que je pensais depuis des années venait de sortir. Ma voix et ma colère m’avaient trahi, et cette fois, je n’ai pas su contenir le bouillonnement excessif de mes pensées. Je crois que j’aurais dû…
En face de moi tout semblait figé. J’étais le seul élément vivant sur un cliché mort. Deux moues fermées et inexpressives me scrutaient de leurs grands yeux vides. Deux immenses poupées de cire, défaites et défigurées : Mon père bouche bée, et ma mère ébahie. Je n’aimais plus du tout ces visages là, qui m’étaient pourtant familiers quelques minutes auparavant… Ils m’inquiétaient et m’indisposaient profondément. C’est comme s’ils grimaçaient, comme si la colère leur avait ôté tout contrôle. C’est pourquoi, si je l’avais pu, si j’en avais eu la force… Je serais partie ! LOIN. LOIN. TRES LOIN. Prendre mes jambes à mon cou et courir, courir, COURIR, Quitte a sentir mon sang, bouillant et dévastateur, battre à me rompre les veines, quitte à me déchirer les muscles, quitte à trébucher et m’ouvrir les mains, quitte à me déchiqueter la gorge et abasourdir ma poitrine de hurlements terrifiants, quitte à finir six pieds sous terre, épuisée et livide… MAIS M’EN ALLER !!
Puis, suite à ces instants qui me semblèrent une éternité, ma mère intervint. Je crois que j’avais ruminé ma détresse et manifesté mon grand ras-le bol un peu trop fort…Elle vomit des paroles que j’encaissai difficilement, que j’avalai avec douleur. Jamais je n’eus éprouvé pareille répulsion auparavant. Aussi nasillarde et étranglée que fut sa voix, elle trouva une force terriblement efficace : celle de retranscrire sa colère à travers une autorité sèche et cinglante que j’ignorais jusqu’alors de sa part. Elle me murmura en un souffle des paroles d’une narquoiserie sans pareille, sur un ton des plus cyniques et provocateur qui me fit véritablement frissonner de dégoût.
Eh bien, dis-moi, quel talent, jeune fille ! Tu es devin ? Médium ? As-tu un bac astral +10 ? Peut-être as-tu besoin d’une boule de cristal ? Tu veux toujours tout savoir mieux que les autres, n'est-ce pas? Tu as toutes les connaissances du monde, et à toi toute seule tu regroupes les talents de la Terre entière, évidemment... Ne te mêle pas de ce qui ne te regarde pas, Mademoiselle « je-sais-tout » et laisse faire les grands. Tu es trop jeune pour avoir conscience de ce qu’il se passe. Tu es souffrante, d’accord mais impuissante face à ce qu’il t’arrive ! C’est pourquoi tu dois nous laisser œuvrer, et nous faire confiance ! Si encore ta compétence n’avait d’égal que ton culot, il me semble que nous t’aurions déjà sollicitée… ! Nous ne te demandons rien.
Je me suis toujours demandée si maman n'avait pas plus de culot et de mauvaise foi que moi, mais là, ça ne faisait plus aucun doute. Dans ces deux domaines, elle excellait démesurément.
Je restai éberluée.
Puis, un choc. Un choc terrible dans mon cerveau, et dans mon cœur aussi.
Mon cher téléviseur reçoit le coup fatal.
Dès lors, l’écran se brouille, les images sautent et s’entrecoupent, les couleurs vives dansent, se mélangent, les sons se distordent, rien ne va plus ! Tout s’affole là dedans, si bien que l’on pourrait croire que cette boîte à bizarreries animées va exploser sous la pression excessive de tous ces clichés, de toutes ces séquences, de ces enregistrements plus ou moins bruyants et illusoires. Tout comme si cette masse grouillante de choses vivantes diverses, agglutinée dans cette minuscule cage de plastique métallisé suffoquait, étouffée sous les câbles, dans ces profondeurs artificielles qui leur servent d’unique domicile. Comme si tout ce petit monde manifestait sa révolte en organisant un violent coup de force dont le fameux téléviseur ne reviendrait pas ! Une énorme farce monochrome filmée qui tourne à la tragédie. Et puis, soudain, tout disparaît dans une infâme bouillie de poussière visuelle noire et blanche, avec un crépitement à vous en faire tressaillir l’ouïe et hurler les tympans. Que faire, alors ? Une seule et unique chose : remettre de l’ordre dans ce qui cloche. Combattre tous ces monstres, ces parasites électroniques, ces fantômes nerveux qui endommagent les réseaux et entrainent la surchauffe… Lutter, oui, mais TOUTE SEULE !
Car voilà que mes parents, ces pseudos- supermans incroyables, exposés violemment devant ma déchéance explosive, sont en proie à leur panique. Oui, pas de doute, ils sont spectateurs de l’effroyable spectacle qu’ils ont supervisé à leur insu. Ils n’ont pas réellement conscience de ce qui se déroule, ils ne comprennent pas. Tireront-ils des conclusions trop hâtives sur ce qu’ils ont vu ? Je l’ignore et pour tout dire, je m’en moque pour le moment. Ca bouillonne, ça palpite, ça tiraille, ça souffle et ça siffle ! C’est effroyable… J’AI PEUR ! SI PEUR !
Une accalmie, passagère. Le chaos m’offre quelques minutes de répit, et se délecte de sa victoire. Nous sommes deux dans mon corps, et tout compte fait, nous nous complétons admirablement : Moi et le vide.
La plus lourde des quiétudes me gagne maintenant toute entière : celle qui précède le fracas. Vous savez, « Le calme avant la tempête »…
Soudain, le signal se trouble. Un surplus de ce grain poivre et sel poussiéreux envahit de plus belle mon écran ! Voilà une succession d’images en noir et blanc qui défilent vertigineusement devant mes yeux étonnés et exorbités, une valse folle au rythme insoutenable se donne dans ma tête, mais je ne suis pas le rythme… Je suis épuisée… La télévision devient folle, un signal électrique intense parcourt les câbles surchargés ! Satanée entité électrique ! Pars, maudit frisson sur-atomisé ! PARS !
Mais quelque chose me chagrinait encore, et bien d’avantage. Je me doutais étrangement que je n’étais pas au bout de mes souffrances… Car je ressentais au plus profond une tension pernicieuse, latente, tapie dans l’ombre visqueuse de mes neurones atrophiés, qui attendait le moment idéal pour fournir la décharge ultime, nécessaire pour tout foudroyer.
Je le savais ! Le vicieux court-circuit, inconsciemment alimenté par mes propres géniteurs grandissait, et attendait depuis longtemps d’atteindre l’intensité idéale pour me faire disjoncter … J’avais l’intime conviction que le moment s’approchait dangereusement.
Et c’était là le cas de le dire : « la vérité sort de la bouche des enfants. »
« Allez, un dernier effort, on est sur le point de faire sauter tous les fusibles !»
- Hors de question ! Vous n’aurez pas ma peau sans perdre la votre ! Vous me faites mal, trop mal ! Il est temps pour vous de sortir ! Sales terroristes mentaux, va !
Puis une voix déformée et venant de nulle part résonna dans les tréfonds de mon crâne. C’était singulier. Comme perdus dans un brouillard épais et confus, les syllabes semblaient se décrocher, et les sons disparaître en un écho grave et bondissant.
« Tu nous contiens depuis trop longtemps déjà…Nous sommes le reflet de tes peurs, de tes angoisses, de tes déceptions et de tes frustrations… Tes démons intérieurs. Tu as déjà enduré plus de choses que ce que tu ne le pouvais… Dans ta tête, l’écran qui projette en permanence tes souvenirs ne supporte plus le flux trop important de tes ressentiments, et tout a lâché à l’intérieur… Mon enfant, ton téléviseur mental est grillé. Nous avons pris le contrôle, tu as perdu le tien. C’est sans espoir. Laisse-toi aller, afin que nous écourtions ton martyre. »
-Jamais !
« Adieu, Théa ! »
….
Puis le noir sur l’écran. Les dernières poussières éparses s’éparpillent parmi les câbles rompus.
Un bruit sourd se fit entendre, comme si on eût heurté le sol avec quelque chose de très lourd…
Ce son, ce n’était rien. Non, rien de bien grave… !
Juste celui d’un corps désincarné tombé sur le plancher.
Emilie.
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